«Un de mes confrères dominicains, Peter Murnane, vient de publier un livre qui pourrait t’intéresser», m’écrit, en septembre 2022, un prêtre australien qui correspond avec moi depuis qu’il a lu mon livre Pourquoi? La crise des abus sexuels dans l’Église catholique, publié à compte d’auteur (2020).
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Le premier chapitre porte sur les procès du leader le plus illustre de l’Église catholique australienne, le cardinal George Pell, ex-bras droit du pape François, responsable des finances du Vatican de 2014 à 2017. Ce qu’il raconte me laisse bouche bée.
«On sait que quelqu’un s’est trompé dans cette affaire», affirme Peter Murnane. «Si Pell est innocent, l’erreur a été commise par le jury lors du second procès devant le tribunal de comté et répétée par la majorité des deux juges de la Cour d’appel de Victoria. S’il est coupable, l’ensemble du système judiciaire a aggravé une erreur cléricale de la pire espèce, permettant encore une fois au pouvoir et à la richesse cléricale de dissimuler la vérité afin que des crimes sordides contre des enfants ne soient pas traduits en justice.»
Que la Haute cour australienne estime la preuve non établie hors de tout doute raisonnable ne constitue pas une preuve d’innocence, poursuit-il. Les preuves de l’avocat prestigieux, Robert Richter, selon lesquelles il serait impossible que le cardinal ait commis l’abus allégué, sont boiteuses. Certaines carrément fausses, ose-t-il même lancer. Affirmer, comme certains le font, que le cardinal serait victime d’une conspiration ne tient pas la route, car il fait l’objet de nombreuses autres accusations. Même la Commission royale australienne sur les abus a conclu que quatre des affirmations du cardinal n’étaient pas crédibles, rappelle le dominicain.
Peter Murnane présente ensuite une vue d’ensemble des abus cléricaux dans l’Église, fournissant des statistiques sur la crise récente qui éclate dans de nombreux pays. Il décrit, avec une profondeur remarquable – ici, cela ressemble beaucoup à ce qu’avance le théologien québécois Jean-Guy Nadeau dans Une profonde blessure. Les abus sexuels dans l’Église catholique (Médiaspaul, 2020) – la souffrance énorme, souvent à vie, des victimes d’abus sexuels. Il démontre comment le droit canon a été façonné pour protéger et dissimuler les prêtres abuseurs, laissant de côté et condamnant au silence leurs victimes. Il énumère les autres erreurs cléricales qui trahissent l’Évangile: colonialisme, inquisition, complicité avec des dictatures, création d’une caste cléricale au-dessus des laïques qui s’arroge le pouvoir exclusif, réservé aux hommes, de célébrer l’Eucharistie. Il dénonce le fait que celle-ci se soit graduellement éloignée de son caractère communautaire pour ne devenir qu’un rituel où un célébrant, ontologiquement devenu un autre Christ, exerce un pouvoir divin. Il dénonce le cadre hiérarchique – évêques, archevêques, cardinaux, pape redevable à personne – qui trahit l’Évangile.
Le courage et la transparence du dominicain Peter Murnane, tout au long de ce livre de 202 pages, m’ont étonné.
Je décide de lui envoyer un courriel afin de le féliciter. Sa réponse, reçue le lendemain, m’a bouleversé.
«Les crimes de l’Église sont tragiques, incommensurables. Ma lente découverte de l’ensemble du portrait, au cours des 56 années qui se sont écoulées depuis mon ordination, m’a finalement conduit, il y a quatre mois, à quitter ma communauté dominicaine (dont de nombreux membres sont incorrigiblement cléricalistes à un haut degré) pour vivre comme un ermite de banlieue, survivant grâce à ma pension de retraite de l’État. J’ai explicitement présenté ce geste comme protestation contre le cléricalisme. J’affirme ma foi croissante dans les Évangiles et dans l’idéal de l’ordre dominicain, et je suis ami avec (presque) tous mes confrères. Je leur rends visite régulièrement, et passe parfois la nuit chez eux lorsque le transport public s’avère difficile.»
«Le prieur provincial a déclaré que je n’étais plus un prêtre en règle et m’a interdit d’exercer mon ministère en public. En agissant de la sorte, je pense qu’il est allé bien au-delà de ses droits légaux.»
Et voilà que le 20 novembre 2022, je reçois un autre courriel de Peter Murnane.
«Mon provincial m’a remis un ‘précepte formel’», m’écrit-il. Dans l’arsenal dominicain relatif à l’obéissance, c’est l’équivalent d’un lance-roquettes! «Il m’a dit que j’avais un mois pour retourner dans ma communauté et retirer le livre que je viens de publier – il est sérieux ! – sous peine de graves conséquences, n’excluant pas le renvoi de l’ordre.»
Âgé de 82 ans et confronté à une situation financière future carrément fragilisée, Peter Murnane n’a toujours pas retiré son livre. En décembre 2022, il a fait parvenir une lettre à la Curie romaine lui demandant de suspendre le «précepte formel» et d’examiner son livre avec plus de discernement que les trois «réviseurs» qui l’ont condamné au provincial. Il n’a toujours pas reçu de réponse. Même pas un accusé de réception.
Je songe à traduire et publier en français Critical Errors. Ce prêtre courageux mérite d’être entendu.