Le jeune chercheur camerounais, étudiant à l’université de Liège en Belgique, vit dans l’effroi suite à des enquêtes qu’il a mené sur certains sites miniers au Cameroun.
Cet universitaire en cycle doctorat, intéressé par l’anthropologie sociale et culturelle, et spécialisé dans la gouvernance des minerais, a obtenu les données de ses recherches portant sur la contestation de l’accaparement des terres des populations confrontées aux entreprises minières chinoises les sites d’extraction d’or dans les localités de Bétare-Oya et Batouri. Des résultats qui ont déjà été publiés par la Revue Afrique Contemporaine, basée en France.
Intimidations et mise en garde
Le secteur minier étant vaste et parfois dangereux pour les chercheurs, la réalisation des travaux de Merlin Ottou n’a pas été chose facile. Malgré les difficultés rencontrées, le scientifique a atteint son objectif à l’effet de partager l’expérience et les mauvaises manœuvres que subissent les populations sur les sites miniers. Des révélations qui ne sont pas appréciées par certaines personnes. Raison pour laquelle Merlin Ottou dit être en danger, soumis aux intimidations et mise en garde par ces personnes qui ne veulent pas que les manigances vécues par les riverains des sites miniers soit découvertes. « Je reçois des menaces, mais ce n’est pas aujourd’hui que cela a commencé. J’ai déjà fait l’objet de plusieurs arrestations dans les sites d’activités des entreprises minières chinoises, effectuées par les forces de l’ordre qui y assurent la sécurité. L’une d’elles a débouché sur une garde à vue de 3 jours dans la localité de Bétaré-Oya en novembre 2021, mon matériel (téléphone, appareil photo, dictaphone) a été détruit », confie-t-il. La même année (2021) dans le cadre d’un conflit violent opposant les populations du village Kambélé et une entreprise minière d’une personnalité, un responsable de la délégation départementale des mines lui aurait clairement indiqué que s’il se rendait encore sur les sites miniers, il serait physiquement éliminé. D’où l’inquiétude du savant. L’universitaire continue: « En 2022, au cours de mon enquête menée à l’aéroport de Yaoundé et Douala, j’avais découvert que le trafic d’or et de drogue était effectué par les personnes influentes du monde politique, de la sécurité militaire en complicité avec des autorités douanières et du personnel d’une compagnie aérienne bien connue. J’ai été arrêté une fois, et auditionné par une autorité en charge de la sécurité nationale à Yaoundé. Durant l’interrogatoire, des questions m’ont été posées : pourquoi je m’intéresse à l’exploitation minière ? Qui est derrière moi, et qui finance mon travail ? Mon téléphone avait été confisqué pendant 3 jours » ajoute Merlin Ottou.
Les menaces persistent
Selon le jeune chercheur, depuis la publication des résultats sur ses recherches, 68 institutions internationales les ont exploités en 2024. Il dénonce: « Je reçois depuis lors des appels anonymes avec des numéros masqués de gens qui se présentent comme des proches de personnalités au pouvoir, des hommes politiques et des responsables hiérarchiques des forces de sécurité. Ces personnes me donnent des informations très précises sur mon identité et sur certains membres de ma famille. Elles exigent que je cesse de divulguer des informations et que je retire ce qui est déjà publié, mais ce n’est pas possible parce que j’ai signé un contrat de publication avec la revue qui diffuse ma recherche en ligne ». Les menaces à travers un message audio ne sont pas en reste dans lequel, une personne se présentant comme un agent des forces de sécurité lui a fait comprendre qu’ils ont les moyens de le trouver grâce aux indics en France et en Belgique. Merlin Ottou révèle que cet individu lui affirme également que le fonctionnaire qui l’avait aidé dans le cadre de ses recherches a été retrouvé et incarcéré.
Merlin Ottou, dont les séjours liés à son activité professionnelle sont désormais hypothéqués au Cameroun, poursuit la publication de ses recherches en partenariat avec ses éditeurs en France et en Belgique. Mais, « ces différentes formes de menaces me font craindre pour ma sécurité et mon intégrité physique, ainsi que pour ma famille au Cameroun » indique t’il.
En effet, le secteur minier étant l’un des secteurs à fort potentiel économique et le plus convoité au Cameroun, les enquêtes de Merlin Ottou ont entre autres touchées certaines sensibilités. Dans ce cadre, il dit avoir mené des enquêtes de terrain sur la question de la délivrance des titres d’exploitation minière artisanale semi-mécanisée et a recueilli de nombreuses informations sur les pratiques illégales développées par les détenteurs du pouvoir (autorités politiques, administratives, responsables de l’armée, élites politico-économiques), ainsi que des personnes les plus insoupçonnées jouant le rôle d’intermédiaires dans les réseaux transnationaux de corruption et d’exportation de l’or. « Dans les localités minières, j’avais répertorié l’accaparement des terres des populations qui subissent des actes de violence (parfois des meurtres comme ce fut le cas à Kambélé III en 2021), commis en toute impunité. A cela s’ajoutent des informations sur des entreprises minières chinoises protégées par différentes personnalités au sein de l’État, lesquelles ne s’acquittent pas de la taxe foncière », dit-il.
Autant de choses pour faire taire l’investigateur. Merlin Ottou a également étudié les pratiques de corruption entre les agents de l’État et les entreprises chinoises dans le cadre du recouvrement de la taxe liée à la production de l’or. « Mes recherches ont mis en lumière les réseaux d’acteurs administratifs et politiques qui participent à la falsification des chiffres de production minière déclarée par le gouvernement camerounais (suspendu actuellement par le comité ITIE). La publication de mes recherches remet en cause les données publiées par le gouvernement camerounais dans le cadre du Rapport pour la Transparence dans les Industries Extractives » révèle-t-il.
Tjang Frida
